«À dix ans, on est dans une enveloppe contenant toutes les formes futures. On regarde à l'extérieur en adultes présumés, mais à l'étroit dans une pointure de souliers plus petite.»
Comme chaque été, le narrateur descend de Naples pour passer l'été sur l'île. Il y retrouve le monde des pêcheurs et les plaisirs de la mer mais ne peut échapper à la mutation débutée avec son dixième anniversaire. Une fillette fait irruption sur la plage et, avec elle, trois garçons jaloux. De quoi remettre en question son ignorance du verbe aimer et sa vision de la justice.
Erri De Luca nous offre ici le récit envoûtant des mues de l'enfance. Source Gallimard Folio
Mon avis :
Une lecture magnifique poétique et nostalgique.
Une écriture faite d'impressions lumineuses comme le soleil en été.
En septembre, on peut avoir des jours de ciel descendu à terra. Le pont-levis de son château en l'air se baisse et, glissant le long d'un escalier bleu, le ciel vient se poser un moment au sol. A dix ans, j'arrivais à voir les marches carrées que je pouvais remonter du regard. Aujourd'hui je me contente de les avoir vues et de croire qu'elles y sont toujours.
Un parfum d'enfance et le dur passage à l'âge adulte.
Il nous écrit de là-bas ? Qu'est-ce qu'il raconte ?- Il est allé voir Guernica, le tableau de ...- Je sais , raconte, ne perds pas de temps. "Moi je trouvais que nous en avions à revendre, que nous pouvions en offrir à ceux qui étaient près de leur fin. Tu parles ! Peut-on faire un paquet avec du temps à l'intérieur et l'offrir pour Noël ? J'en avais plein, le mien et en plus celui qui était dans les livres. Mais c'est elle qui devait avoir raison, elle et les animaux, il ne fallait pas perdre de temps. Celui qui nous est imparti dure autant que celui qui n'est pas gaspillé, le reste est perdu. (page 33)
Comme une blessure, comme une mue, comme un corps qui ne suit pas, qui ne sait pas quoi faire.
Je le rencontre dans mon sommeil, où je pleure sans larmes. le deuil de mon père est une flaque d'eau de mer asséchée. Au pilieu des rochers, il reste le sel séché, des sanglots à sec.Je retrouve à présent mes larmes d'il y a cinquante ans. Elles reviennent à mes yeux après avoir voyagé et fait partie du goutte-à-goutte des yeux du monde. Elles sont revenues au point de départ et je les pleure de nouveau. La fenêtre disloquée par des décennies d'intempéries que je brûle dans la cheminée me suffit. des mains que je ne peux plus toucher l'ont ouverte et refermée. Pourtant, je les vois, veines, tendons, forme des ongles, remuer dans l'air de la maison et s'affairer.Les larmes reviennent bras dessus bras dessous, deux par deux, se penchent sur le bord et plongent des cils sur mon pantalon, tandis que je pose mon front sur mes mains vides. ce sont les mêmes larmes d'enfant, d'ancienne impuissance. Elles n'ont rien demandées et cessent toutes seules. (page 97)
Une très belle lecture dont les mots résonnent en moi et les images et sensations me submergent et me font scintiller des yeux comme les écailles des poissons au soleil...
Un petit livre par sa taille mais assurément un grand livre !
J'ai aimé, beaucoup, passionnément, à la folie ! Grazie ♥
"Les livres sont la plus forte contradiction des barreaux.
Ils ouvrent le plafond de la cellule du prisonnier allongé sur son lit."
@Elena Vizerskaya |